vendredi 29 mai 2009

"Je vous aimais" et je vous aime encore...


S’il est admis de tous que Guiseppe Haydn est un compositeur de génie, voilà quelques lignes écrites de sa main pour sa bien-aimée Thérèse Keller qu’il n’eût pu épouser… Preuve que bien plus qu’un virtuose, il fut un poète qui s’est révélé dans la blessure d’un Amour contrarié. Sa poésie réside et sonne autant dans ses œuvres musicales que dans cette correspondance poignante, que je souhaitais vous faire partager.

" Ma belle amie,

Je ne doute pas un instant que vous serez fort surprise lorsque le brave Liebesbrief, qui a la bonté d'aller courir par les rues de la ville simplement pour m'obliger, vous remettra tout à l'heure ces quelques mots. Il eut été imprudent que je m'en chargeasse moi-même car j'imagine sans peine de quels regards soupçonneux on m'aurait abreuvé en me voyant m'absenter pour la soirée, tout bouleversé et la mine aussi sombre que mon habit. (…)
Demain... oh, quand je pense à demain, la tristesse qui m'obsède soulève ma poitrine et fait ruisseler mes larmes tandis que je maudis la cruauté du destin qui veut que nous soyons séparés ! Je voudrais m'enfuir au bout du monde, me terrer dans quelque antre inaccessible pour y finir ma misérable existence loin de tout ce qui me rappelle le bonheur qui m'est désormais interdit. (…)
Aussi, bien que demain ne provoque en moi qu'une indicible horreur, je tiendrai vaille que vaille ma place dans la tribune pour diriger le concerto et le Salve que j'ai composés expressément pour la cérémonie, pour ne pas dire pour vous.
Nous aurions été heureux, ma tendre Thérèse, nous aurions connu un bonheur sans nuages si vos parents ne vous avaient contrainte à prendre pour époux celui qui ne vous donnera jamais autant de tendresse que je vous en réservais. Mais l'implacable sentence est tombée et « pour le confort de leur âme », ainsi qu'ils l'ont dit, on vous a forcée à vous éloigner de moi, dont l'unique vœu était de vous chérir pour le reste des jours que nous aurions partagés. Nous avons tant pleuré, vous et moi, lorsque notre rêve s'est brisé. Peste soit des basses raisons qui empêchent deux jeunes personnes qui éprouvent l'une pour l'autre la plus sincère inclination (…) !
Que n'ai-je une situation qui offrirait plus d'aplomb à mes vingt-quatre ans, que n'ai-je les appuis qui me permettraient de vous soustraire, de gré ou de force, au sinistre sort que l'on vous prépare ! Mais, en agitant tous ces souvenirs et ces pensées, voici que sanglots et larmes me submergent de nouveau.
J'ai mis dans le Salve qui sera joué demain toute la science que j'ai acquise jusqu'à maintenant auprès de ceux qui ont bien voulu m'instruire, mais j'y ai déposé bien plus que ceci, mon amie. Je l'ai voulu débordant d'autant de tendresse qu'il est loisible d'en user dans une pièce sacrée, j'ai désiré que la voix seule du premier air glisse comme une caresse lumineuse sur un fond de cordes soupirantes, j'ai souligné les mots vita et dulcedo par des modulations pour que vous entendiez que vous demeurez ma vie et ma douceur. Puis, dans le second air, j'ai brisé l'exultation de l'assemblée en faisant entrer adagio la soliste et en lui faisant descendre pas-à-pas la gamme sur les mots « gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes » afin que nul n'ignore que ceux qui, séparés, seront dorénavant solitaires, pleurent quand ceux qui les ont condamnés se réjouissent. Je ne vous dévoile pas tout ; la musique parle à ceux qui savent l'écouter, et je suis certain que vous entendrez le message que je vous délivre à travers elle.
(…) Demain, lorsque les grilles du couvent se refermeront à jamais sur votre chère vie, puissent les notes que je vous adresse vous redire éternellement à quel point je vous aimais et suis à jamais,
votre Joseph.

De Vienne, ce 11 mai 1756. "
Le texte intégral et quelques extraits de l'oeuvre ici

2 commentaires:

la sonatine a dit…

ce texte est magnifique, mélant l'art de l'amour et de la musique . L'inspiration dans la composition.
un vrai bonheur de le découvrir !

j'ai envie de vous faire découvrir un trés joli blog photographique.
http://www.philippepache.com/index.php prenez le temps d'en découvrir l'intro .. ça vous donnera envie de découvrir le reste :-)
j'ai egalement sur mon blog perso qq jolis lien artistiques. je pense que vous aimerez.

Alexandra a dit…

Chère La Sonatine,
Je vous remercie d'exprimer ici votre ressenti à la lecture de la lettre de Haydn. Je crois qu'il est assez proche du mien, et c'est toujours agréable de partager cela.
Je découvre à présent votre blog et celui du photographe Philippe Pache et je dois dire que j'adore.
Le ton de votre blog est intéressant ainsi que les thèmes abordés quant à vos photos, il y a de vrais bijoux!
Je découvre les œuvres de Philippe Pache et vous avez entièrement raison de dire que je vais les aimer. Elles sont sublimes. J'aime ce qui s'en dégage, les couleurs, le flou de certaines, les expressions, les associations qu'il fait, l'intérêt pour les mains et les pieds, bref, je ne peux que vous remercier pour cette évasion, dans laquelle je me plongerai surement à nouveau.
Bien à vous,
Alexandra